Cyril DENNERY
(1984-)
Originaire de Boulogne-sur-mer, dans le Pas de Calais. Famille d’ingénieurs du coté de son père, et une famille d’ouvrier du nord de la France, dans le métal, du coté de sa mère.
« Je crée des maquettes en modèle réduit à partir de 8 ans, et je reprends le train électrique, jouet de mon père, à l’âge de 11 ans. Jusqu’à rentrer en architecture, je crée dans cet univers, entre modélisation plastique et électronique. Je développe mes compétences de conception et de création pendant mes 7 années d’architecture à paris, travaille un an en agence. »
« À 25 ans, je pars en Angleterre pour un cursus court en art et design. C’est pendant cette année que je rencontre la céramique par hasard. Mon tuteur en cours d’art est un ancien potier, et il me recommande les références de maitres japonais dont le travail capte l’essence cosmique de l’univers. C’est le coup de foudre, et je mets toutes mes compétences acquises au service de la création céramique, en découvrant cette pratique sous l’angle de la tradition asiatique. »
« En autodidacte, je travaille d’emblée les matières locales, la terre et les cendres en essayant de capter l’intemporalité des matières organiques dans mes créations, tournant sur un tour à pied, et créant mes propres émaux. »
« Je suis artisan d’art. Le fait que je ne peux pas déléguer une seule étape des objets que je crée atteste d’une démarche particulière, une attention créative de tous les instants. Je travaille principalement les objets utilitaires, et les assiettes en particulier pour des restaurants gastronomiques depuis 10 ans. Je commence à travailler avec une galerie pour une production exclusivement artistique, mais principalement, je pense que mon travail est à la croisée des chemins. »
« J’ai mis du temps à m’en souvenir, et cela m’est revenu deux ou trois ans après avoir commencé en Angleterre. J’ai fait de la poterie a l’école des beaux-arts de Saint Omer quand j’avais 6 ans, dans le cours des enfants débutants, le mercredi après midi pendant un an. »
« Fin 2009 dans ce cursus d’art et Design. A vrai dire, j’ai négocié avec l’enseignant principal parce qu’après l’architecture, je maîtrisais déjà certains cours. L’informatique, l’histoire de l’art etc… donc il a été conclu que j’aie accès à l’atelier de poterie en autonomie. J’avais tout l’atelier pour moi tout seul, plusieurs fois par semaines, et je me suis également inscrit aux cours du soir en plus pour y passer encore un peu plus de temps. »
« Dans un collège anglais, l’équivalent d’un lycée professionnel, et il y avait une classe d’art et design. Concrètement, ca ressemble a un BAC d’art appliqué, cursus court après lequel les élèves decident normalement dans quelle université d’art ils vont s’inscrire. Pour moi, c’était juste l’occasion de progresser dans des pratiques plus créatives et artistiques après le cursus d’architecture. »
« J’étais entièrement autodidacte. Mais aujourd’hui il y a youtube, la quantité d’informations est énorme, et de grands noms de la poterie tiennent des chaines très fournies. J’ai beaucoup suivi la chaine de Simon LEACH, le petit fils de Bernard LEACH. J’ai très rapidement investi dans l’excellent « The Potter’s Dictionary of Materials and Techniques« , de Frank et Janet HAMER. Ces deux outils là ont été des guides réguliers, que je nourrissais avec tout ce que je pouvais trouver de références asiatiques. »
« Je suis un « essentialiste ». De par ma formation d’architecte, j’ai été conditionné à chercher le juste, l’efficace ; la beauté de l’essentiel. Je ne cherche pas des formes inédites à la seule fin de créer l’étonnement comme on peut le voir dans le design actuel, je cherche toujours la simplicité, et la force de l’universalité. Bien entendu, je cherche à créer des objets magnifiques, en jouant sur l’interaction des matières et des formes, toujours en essayant de capter leur essence et leur plus belle expression. »
« Mon inspiration est très variée. Quand je travaille pour des restaurants, je crée des nouvelles séries a chaque fois. Je me mets au service d’un univers. En tant qu’architecte, je suis sensible aux espaces de salle, au travail des architectes. En général celui-ci est issu d’un échange en lien étroit avec le chef de l’établissement. Je suis également très sensible aux gouts, étant moi même passionné de jardin, plantes sauvages comestibles, et cuisine. Plus on échange avec les acteurs d’un restaurant, plus on est imprégné. En 10 ans, j’ai été amené à me challenger de nombreuses fois, en travaillant toutes sortes de techniques, et en élaborant des émaux de natures différentes et en suivant une logique différente. Je suis un être complexe, et mon terrain de création est indéniablement ouvert sur l’absolue liberté. »
« La cuisson biscuit s’effectue chez moi en four électrique. Pour mes créations de platerie, j’utilise le plus souvent mon four à gaz, et jusqu’a maintenant, je cuis principalement en oxydation. Depuis un an, j’ai construis un four à bois (train kiln) à flamme directe chez moi, 1200 litres utiles, et je commence à produire de la céramique en cuisson avec exposition à la cendre. »
« Les nécessités commerciales font que j’utilise principalement le four à gaz. En effet, l’implication en four a bois est telle que les prix sont en moyenne 30 à 50% plus élevés qu’en four à gaz. Pour ma clientèle la céramique représente déjà un gros budget en four à gaz. D’un autre côté, je travaille avec cet outil depuis quelques années déjà, et je commence a le maîtriser correctement. C’est un métier déjà très complexe, et avoir un petit peu de sérénité est un maigre confort qui s’apprécie à sa juste valeur. »
« Pour le four à bois, j’utilise le bois de ma propre parcelle de 2 hectares de bois. Il y a une grande variété d’essences sur cette ancienne friche forestière. En bois dur, j’ai principalement du chêne. J’ai également des résineux, de grands pins Douglas. Je les abats moi même, et fais venir une scierie mobile pour débiter le bois nécessaire à mes rénovations sur le lieu que j’habite. Tout ce qui n’est pas valorisable en bois d’oeuvre est dédié au four. Quand je coupe, je conduis mes arbres en têtards, pour une exploitation durable, et je replante dès que cela est possible. Pour chaque cuisson, je prépare deux lots de bois. Du bois dur, principalement du chêne, et du bois à flamme. Ici, cela peut donc être du Douglas, du saule, du bouleau. »
« Pour obtenir des effets marqués et typiques, je préfère concentrer des essences bien distinctes a chaque cuisson. J’aime les bois d’eau en général, car ils possèdent souvent du calcium, et c’est une famille d’émaux que j’apprécie. Je réalise entre 2 et 4 cuissons par an, entre 30 et 48 heures selon ce qu’on cherche. »
« Le « train kiln » est un four avec une thermodynamique très puissante. C’est un four réputé pour sa versatilité. Il est très réactif et permet beaucoup de types de conduite. On peut ainsi, chose assez atypique, cuire en réduction propre. C’est a dire presque sans fumée, sans imbrulés, et très peu de carbone dans les résultats. On peut également cuire en oxydation très facilement. La puissance du tirage est également source d’imprévus. La cuisson est relativement courte pour la catégorie de fours a flamme directe et le moindre paramètre va prendre des proportions importantes sur le résultat. »
« En four à gaz également. Je travaille des émaux sur des matières très capricieuses et je travaille énormément en superposition de vaporisation. Les quantités et épaisseurs en variations infimes vont produire un certain degré de versatilité. C’est aussi comme ça que je les aime. »
« Je me nourris bien entendu des modèles traditionnels japonais, comme l’Oribe et les Shino. A chaque fois, j’essaie de m’approprier les recettes en utilisant des matériaux locaux. Par exemple le Shino est composé avec du granite local, et mon oribe contient du calcium issu de coquilles d’huîtres calcinées. Je crée également mes propres recettes, parfois extrêmement simples, avec de la cendre et de la porcelaine. J’aime également les effets de douceur de la micro cristallisation du calcium, je travaille donc beaucoup ces formules contenant diverses sources de calcium : huîtres, pierre de Loire, pierres calcaires. A titre personnel, j’aime les émaux très proches des éléments, ceux dont on peu dire : « là c’est cette roche qui s’exprime ».
« Je me désigne comme artisan d’art donc je ne conçois pas mon métier dans la redondance. Les matières locales sont des sources le plus souvent finies. Tout évolue. Cela dépend des matières que j’ai à disposition, mais également des commandes que l’on me passe. J’essaie de proposer de nouvelles choses constamment à mes clients en essayant de rester dans leur univers. Il n’est pas rare après plusieurs années à suivre une collaboration sur une même thématique de passer à une 2ème phase très distincte. Je peux alors repartir de zéro, et créer quelque chose d’entièrement inédit pour le même restaurant. C’est un échange qui nous nourrit tous les deux en suivant nos évolutions personnelles. »
« Je donnais des cours particuliers, les 1ères années pour payer l’atelier, mais j’ai arrêté. Mon lieu est voué à devenir un lieu de résidence où chacun vient avec un projet et de l’autonomie. Je n’ai pas eu l’occasion d’avoir de gens motivés pour pousser au niveau technique, et je n’y trouve pas mon compte. J’ai également la chance de vivre de ma création. Je commence a reprendre des stagiaires étudiant en école de céramique, mais je suis très select. »
« À propos de la transmission du savoir-faire, comme j’ai appris avec les chaines YouTube, j’ai également commencé la mienne que je nourris de temps en temps. Je sais qu’elle est appréciée et je rencontre souvent des personnes par ce biais là. Parfois pour de simples questions, parfois ces gens viennent jusqu’à mon atelier pour faire connaissance avec l’univers. C’est une très bonne manière pour offrir une base d’échange de la connaissance. J’entends par là que c’est très efficace, personne ne perd de temps. Les gens qui me posent des questions sont ceux qui sont dans une démarche de recherche. C’est un juste retour, et puis c’est extrêmement nourrissant. La connaissance est faite pour être partagée pour continuer son chemin, être nourrie et donner forme à la diversité infinie de la création. »
« C’est un chemin de vie, entier et sans concession.
Si on le souhaite, c’est le point de départ de toutes les pratique. Pour la terre, j’ai pratiqué des retraites de méditation intense afin d’élever mon esprit et essayer d’accueillir la dimension universelle de ce métier. Pour elle, j’ai également commencé à m’intéresser aux sciences de la terre ; à la géologie pour savoir d’ou elle vient, et à la science de la vie du sol, pour comprendre ce qu’elle devient. Cette pratique a également mobilisé toutes les connaissances en art que je possédait grâce à l’architecture, en conception, en gestion de projet, mais également les ressources techniques et scientifiques que j’ai acquises de par mon background familial. Enfin, ce métier requiert des compétences et des savoir-faire extrêmement variés qui vont de la maçonnerie au métal en passant par le bois et l’électronique. C’est extrêmement complet, et une vie n’y suffirait pas.
C’est sûrement la meilleure occasion qui m’ait été donné de devenir un homme complet et épanoui. »
Cyril DENNERY en 5 dates importantes :
Décembre 2009 : Découverte du tour à pied.
Janvier 2012 : Ouverture de mon atelier de céramique à Quiberon.
Printemps 2013 : Traversée du désert et livraison de mes premières assiettes à un restaurant gastronomique.
Printemps 2015 : Après 2 ans à travailler pour un restaurant et gagner en technique, je commence à travailler pour d’autres restaurants et commence à créer des séries différentes.
Automne 2022 : Construction d’un « Train kiln« , four à bois a flamme directe, et début de productions artistiques.
« Travailler avec les restaurants est une chance incroyable quand on y pense. Il n’y a pas meilleur endroit pour toucher un grand nombre de personnes. Quand on y pense, sur l’année, il y a en moyenne 20 clients attablés par service, en moyenne 7 plats par service. Un service le midi, et le soir, environ 300 jours ouvrés par an. Cela fait 12000 personnes touchées en plein coeur tous les ans, et 84000 expressions de surprise et de bonheur. Une assiette peut avoir une longévité de presque 10 ans si elle ne subit pas de choc. Disons 5 ans, en moyenne… une seule assiette touche 3000 personnes durant sa vie. Être créateur, savoir que l’on participe à rendre meilleure leurs journées, c’est comme enchanter le monde un petit peu, chaque jour. C’est la raison pour laquelle j’aime mon métier, et c’est également la raison pour laquelle je continue sans concession à donner le meilleur. Avec des gestes d’une grande simplicité, créer de magnifiques oeuvres. »
Source des photos et des textes : Cyril DENNERY et Yann san